«LA SOCIÉTÉ EST MON CARBURANT»
Plasticien ivoirien emblématique et engagé, il s’immerge dans son environnement, dans les communautés, pour capter les mutations de son pays. Et transmettre.
Son art est un moyen de saisir des phénomènes sociaux et d’apporter des réponses aux problématiques contemporaines, notamment en matière de repères identitaires et de transmission mémorielle. Saint-Étienne Yeanzi, plasticien, penseur et professeur des beaux- arts ivoirien, puise son inspiration dans la société; il affûte son œil observateur en s’immergeant au cœur des communautés, en s’imprégnant de leur quotidien, pour capter au plus près, de l’intérieur, les effervescences, les mutations d’un pays. Affichant un pointillisme qui lui est propre, ses œuvres mêlent diffé- rentes techniques et matériaux, dont la peinture, et sur- tout sa marque de fabrique: le plastique fondu à partir de sacs usagés, transformant un fléau environnemental et un objet familier en outil créatif. Tandis qu’il est mû par sa volonté de constituer une mémoire collective, son esthétique convoque des éléments graphiques issus de l’Égypte antique, de traditions ancestrales, et des personnages his- toriques emblématiques comme guides pour éclairer le présent. Sa récente exposition à la Galerie Farah Fakhri d’Abidjan, « Pandore », prend à rebours le mythe de la célèbre boîte et délivre, à la place des maux, des propo- sitions constructives face aux défis actuels. Né à Katiola, en 1988, Yeanzi dessine depuis l’enfance, nourri par les bandes dessinées et les livres d’art transmis par son père. Portraitiste de rue à l’adolescence, il suit sa scolarité au lycée d’enseignement artistique de Cocody, puis étudie à l’école des beaux-arts d’Abidjan, d’où il sort major de promotion en 2012. Depuis, son travail a été exposé dans le monde entier, des États-Unis à l’Afrique du Sud, en pas- sant par le Maroc ou les Biennales de Venise et de Dakar. Rencontre avec un être engagé, qui croit profondément au rôle nécessaire et salutaire qu’un artiste peut et doit jouer dans une société, auprès des consciences.
Quelles ont été vos inspirations pour cette nouvelle exposition, «Pandore» ?
Yeanzi: Après avoir mené une étude sur la société ivoirienne, et plus largement celles d’Afrique de l’Ouest, j’ai identifié des problématiques de développement, notamment autour de la question de l’identité et de la transmission mémorielle. Cette génération extrêmement jeune – la moyenne d’âge en Côte d’Ivoire est de 21 ans, et l’on retrouve cette jeunesse dans la plupart des pays du continent – fait face à des défis en matière d’éducation, de repères identitaires. Il m’importait de proposer un arsenal de réponses à ces problématiques à travers mon projet, «Pandore». En plus de cette exposition, un mémorial sera réalisé dans les rues d’Abidjan sous peu, et une série de conférences seront organisées dans les écoles et universités du pays. Elles porteront sur l’intérêt d’utiliser la culture comme un support de développement. Face à l’urgence identitaire et mémorielle, nous devons construire un nouveau patrimoine culturel et l’introduire dans les habitudes de cette jeune société, des leaders de demain. Ils en ont besoin.
Quelle forme ce mémorial prendra-t-il?
Il sera décliné sous la forme d’un panthéon. Il est très important de construire cette mémoire en s’appuyant sur l’histoire. Cette génération a besoin de modèles. Nous allons extraire de l’histoire de ces pays toutes les personnalités qui ont contribué à l’émancipation, au développement, à l’évolution des sociétés. Sur des murs, avec des matériaux mixtes, des supports modernes, contemporains, peinture, plastique, graffiti, etc, nous les immortaliserons. Ce sera une création participative, ouverte, je serai accompagné par d’autres personnes. En tant qu’artistes, nous devons aider au dévelop- pement de notre société; c’est mon engagement depuis mes débuts, il y a une dizaine d’années.
Il s’agit ainsi de sortir l’art des musées pour investir l’espace public ?
C’est tout l’enjeu, car on ne peut pas espérer toucher des millions de personnes en exposant dans les galeries. En occupant les lieux publics, on contribue, on porte une volonté de rendre accessible cette production au maximum de personnes, on l’offre en partage.
Comment se déroulent vos recherches auprès de vos concitoyens?
J’effectue une immersion en société, au sein des différents quartiers d’Abidjan. J’ai besoin de cohabiter avec les gens, de les rencontrer, d’échanger. Leurs émotions au quotidien façonnent mon envie de créer. La société est mon carburant. Un match de foot, un bal poussière dans un quartier... Toutes ces atmosphères bouillonnantes, pleines d’actions, au cours desquelles les humains interagissent entre eux, créent le déclic chez moi.
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